Les bienveillantes by Jonathan Littell

Les bienveillantes by Jonathan Littell

Auteur:Jonathan Littell [Littell, Jonathan]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Unknown
Éditeur: Gallimard
Publié: 2010-09-14T15:34:59.140000+00:00


VI

MENUET (EN RONDEAUX)

Ce fut Thomas, vous n'en serez pas surpris, qui m'apporta le pli. J'étais descendu écouter les nouvelles au bar de l'hôtel, en compagnie de quelques officiers de la Wehrmacht. Ce devait être vers le milieu de mai: à Tunis, nos troupes avaient effectué un raccourcissement volontaire du front selon le plan préétabli; à Varsovie, la liquidation des bandes terroristes se poursuivait sans obstacles. Les officiers qui m'entouraient écoutaient d'un air morne, en silence; seul un Hauptmann manchot ricana bruyamment aux termes freiwillige Frontverkürzung et planmässig, mais il s'interrompit en croisant mon regard angoissé; comme lui et les autres aussi, j'en savais assez pour interpréter ces euphémismes: les Juifs soulevés du ghetto résistaient à nos meilleures troupes depuis plusieurs semaines, et la Tunisie était perdue. Je cherchai des yeux le garçon pour commander un autre cognac. Thomas entra. Il traversa la salle d'un pas martial, me lança cérémonieusement un salut allemand en claquant des talons, puis me prit par le bras et me tira vers une alcôve; là, il se coula sur la banquette en jetant négligemment sa casquette sur la table et en brandissant une enveloppe qu'il tenait délicatement entre deux doigts gantés. «Sais-tu ce qu'il y a dedans?» demanda-t-il en fronçant les sourcils. Je fis signe que non. L'enveloppe, je le voyais, portait l'en-tête du Persönlicher Stab des Reichsführer-SS. «Moi, je sais», continua-t-il sur le même ton. Son visage s'éclaircit: «Félicitations, cher ami. Tu caches bien ton jeu. J'ai toujours su que tu étais plus dégourdi que tu en avais l'air». Il tenait toujours le pli. «Prends, prends». Je le pris, le décachetai, et en tirai une feuille, un ordre de me présenter à la première occasion à l'Obersturmbannftihrer Dr. Rudolf Brandt, adjudant personnel du Reichsführer-SS. «C'est une convocation», dis-je assez stupidement. -

«Oui, c'est une convocation». – «Et qu'est-ce que ça veut dire?» – «Ça veut dire que ton ami Mandelbrod a le bras long. Tu es affecté à l'état-major personnel du Reichsführer, mon vieux. On va fêter ça?» Faire la fête, je n'en avais pas grande envie, mais je me laissai entraîner. Thomas passa la nuit à me payer des whiskys américains et à disserter avec enthousiasme sur l'obstination des Juifs de Varsovie. «Tu te rends compte? Des Juifs!» Quant à ma nouvelle affectation, il semblait penser que j'avais réussi un coup de maître; moi, je n'avais aucune idée de ce dont il s'agissait. Le lendemain matin, je me présentai à la SS-Haus, sise Prinz-Albrechtstrasse juste à côté de la Staatspolizei, dans un ancien grand hôtel converti en bureaux. L'Obersturmbannführer Brandt, un petit homme voûté, à l'aspect incolore et méticuleux, le visage caché derrière de grandes lunettes rondes cerclées d'écaille noire, me reçut tout de suite: il me semblait l'avoir vu à Hohenlychen, lorsque le Reichsführer m'avait décoré sur mon lit d'hôpital. Il me mit au courant, par quelques phrases lapidaires et précises, de ce qu'on attendait de moi. «Le passage du système des camps de concentration d'une finalité purement correctrice à une fonction de provision de force de travail, entamé voilà plus d'un an, ne s'accomplit pas sans heurts».



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.